Combinées aux changements climatiques, les grandes coupes forestières au sud du lac Kénogami pourraient nuire, à long terme, à la qualité de l’eau. Une experte dans l’étude des lacs et des rivières craint les conséquences des coupes forestières en bordure de la rivière Pikauba, le principal affluent du lac Kénogami. Cette réserve d’eau potable abreuve près de 120 000 citoyens du Saguenay.
Selon un plan d'aménagement spécial du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), un total de 675 000 mètres cubes de conifères et de feuillus seront récoltés, sur un territoire de plus de 52 kilomètres carrés. Le ministère explique cette intervention, commencée en 2019, par l’urgence de contrer l'épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Un motif qui étonne Sonja Behmel, PhD limnologiste et professeure associée de l'Université Laval et de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS). La chercheuse estime que la santé de nos plans d’eau subit les contrecoups du grand appétit des exploitants forestiers : "Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs justifie des coupes forestières pour lutter contre les insectes ravageurs. Mais l’urgence, est-ce qu'elle est pour l’industrie forestière qui ne veut pas perdre le bois, ou est-elle vraiment pour toute une forêt qui est menacée ?" Jimmy Bouchard est conseiller municipal à la Ville de Saguenay. Il déplore le laxisme du ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), qui n’a rien fait, selon lui, pour empêcher la mise en œuvre de cette vaste opération forestière du MFFP, au sud du lac Kénogami. Ces coupes se déploient à proximité du lac, qui alimente deux prises d’eau potable. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs rétorque que de manière générale, il n’a pas à obtenir la permission du MELCC afin de procéder aux activités d’aménagement forestier, puisque celles-ci sont encadrées par la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier. L'élu municipal Jimmy Bouchard dit attendre toujours la création d’une aire protégée qui permettrait de bloquer en partie les opérations forestières dans ce secteur. Un projet qui est encore à l’étude au ministère de l’Environnement.
Le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État prévoit qu’une lisière boisée d’une largeur d’au moins 20 mètres soit conservée en bordure d’une tourbière ouverte avec mare, d’un marais, d’un marécage arbustif riverain, d’un lac ou d’un cours d’eau permanent. Mais pour Sonja Behmel, les lisières boisées qu’évoque le ministère ne sont pas toujours imperméables lorsque l'endroit est plus accidenté. Le fort volume de coupes va drainer, selon elle, une quantité importante de matières organiques vers la rivière. Dans ces résidus, on trouve des fragments d'arbres et de terre, mais aussi d’autres nutriments et contaminants. Lorsqu'on fait une coupe importante, survient en plus une grande mobilisation de phosphore, d'azote et potentiellement des métaux lourds, précise la limnologiste. Là où cela devient plus préoccupant, c’est lorsque ces résidus atteignent l'usine de traitement d’eau potable. Tous ces composés entrent alors en contact avec des produits chimiques comme le chlore et l’ozone et peuvent produire un cocktail à fort potentiel toxique. Il faudrait que ce soit l’eau notre priorité, et non pas toutes les autres activités économiques, conclut-elle.
Photo André Douillard
Claude Labbé, Pier Gagné – Radio-Canada